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Crispr-Cas9, c'est quoi ?

Définition d'une controverse

« Situation dans laquelle un différend entre plusieurs parties qui engagent des savoirs spécialisés et des experts ne parvenant pas à imposer des certitudes est mis en scène devant un tiers. »

Définir CRISPR-Cas9 est problématique. Il s’agit d’un ensemble très vaste de connaissances. La première définition est celle d’un système immunitaire adaptatif (CRISPR-Cas), d’un outil de manipulation du vivant (CRISPR-Cas9) et d’une biotechnologie.

CHRONOLOGIE

En février 2015, l’Assemblée Nationale dans un rapport de faisabilité des biotechnologies, précisait que CRISPR-CAS9 est "le fruit de la recherche fondamentale, et non d’une recherche appliquée. C’est à l’origine un pur objet de recherche, il n’est devenu qu’ensuite une technologie."


Aujourd'hui, la découverte est attribuée à Emmanuelle Charpentier (FR) et Jennifer Doudna (USA), ayant été les premières publiées en Juin 2012, par la revue scientifique Science. Cependant,

il est important de comprendre la polarisation des événements et des acteurs. Pour cela, nous avons reconstitué une frise chronologique concernant la découverte de CRISPR-CAS9 :

1960

La première apparition de CRISPR dans la recherche remonte au milieu des années 60, lorsque des scientifiques découvrent que certains enzymes (dits « de restriction ») peuvent couper l'ADN de cellules, à certains endroits.

1989

Francisco Mojica constate que l’organisme a des séquences génétiques longues et d’autres courtes mais à intervalle régulier.

Dans la même période, au Japon, une équipe de scientifiques arrive à la même conclusion sur un autre organisme.  En 2002, Mojica

co-nomme le phénomène avec Ruud Janssen, "CRISPR : Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats".

2005

Alexander Bolotin et Dusko Ehrlich, deux chercheurs de l’Institut national de recherche agronomique (INRA) - parviennent à séquencer le génome - mettent en place une réunion annuelle sur CRISPR qui accueillera environ 30 savants.

2007

Philippe Horvarth et Rodolphe Barrangou (Danisco) en analysant les séquences d'ADN répétées dans le S. Termophilus dont Mojica avait parlé en 1990, remarquent que les séquences CRISPR trouvent correspondance avec l'ADN du virus pour le combattre.

2008

L'idée que CRISPR puisse être utilisé comme outil d'édition du génome apparaît dans Science sous la plume d’Erik Sontheimer et Luciano Marraffini. Mais l'UPSTO (United States Patent and Trademark Office) leur refuse le brevet.

2010

Sylvain Moineau démontre que c’est bien l’ADN et non pas l’ARN qui est visé par la maladie (publié dans Science en 2010).

2012

Sylvain Moineau démontre que c’est bien l’ADN et non pas l’ARN qui est visé par la maladie (publié dans Science en 2010). 

Science publie le fruit d’une collaboration entre les laboratoires d’Emmanuelle Charpentier et de la biologiste de l’université de Californie à Berkeley Jennifer Doudna. Elles y décrivent la première reconstitution de CRISPR-CAS9 in vitro.

 

Découverte des ciseaux génétiques réalisée presque en même temps dans un autre laboratoire : Virginijus Siksnys, brillant biologiste lituanien, qui collabore depuis 2007 avec les français Philippe Horvath et Rodolphe Barrangou demande à être publié mais ne le sera qu'en septembre, après Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna.

CHRONOLOGIE
DEF ET PB

Définition et problématique

1 ) CRISPR-Cas est un système immunitaire présent chez 60% des bactéries

Pendant longtemps, tous les systèmes de défenses immunitaires étaient considérés comme innés. En étudiant les bactéries, plusieurs chercheurs se sont rendus compte que que ces systèmes immunitaires sont adaptatifs, c’est-à-dire qu’ils mémorisent l’ADN des virus pour se défendre contre les agressions à venir.

En réalisant que le système immunitaire est programmable, Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ont fait évoluer un mécanisme naturel pour le transformer en outil.

La catégorisation de l’action de ces “ciseaux génétiques” n’est pas stabilisée.
Par exemple, lors du colloque à l’Académie des Sciences du 21 février 2017 intitulé “Les problèmes éthiques associés à la modification des organismes par la technologie CRISPR-Cas9”, trois intervenants se sont succédés et chacun a apporté une définition différente.
Par exemple, Georges Pelletier, membre de l’Académie des Sciences et de l’Académie d’agriculture, définit CRISPR-Cas9 comme un outil de réécriture génomique qu’il distingue de l’édition génomique qui est, elle, l’oeuvre de professionnels de génétique et de bio-informatique. L’édition génomique intervient en amont de la réécriture génomique.  
Jean-Paul Renard, directeur de recherche à l’INRA et “père du clonage” en France,  n’a pas développé directement cette réflexion sur les termes. Néanmoins à la fin de son allocution la question lui a été posée : doit-on utiliser réécriture ou édition ? Il admet que les termes sont très importants puisque la définition aura des conséquence sur l’encadrement et il préfère le terme de réécriture comme le comité de biologie de l’Académie des Sciences. Enfin, dernier intervenant,
Pierre Corvol, professeur honoraire au Collège de France en médecine expérimentale, débute son allocution par cette question. Pour lui réécriture, édition génomique ou ingènérie génétique sont des termes valides et ont été employés dans différents rapports de comité éthique. Il préfère personnellement le terme “d’édition” qui facilite la représentation. Il insiste comme son collègue précédent : la catégorisation de l’action de CRISPR cadre le débat éthique.

Problématique : Comment caractériser l’action d'un objet équivoque ?

2) CRISPR-Cas9, technique de manipulation du génome

Le génome est présent dans tous les êtres vivants (hommes, animaux, plantes et micro-organismes). CRISPR permet d’étudier ce génome, de le séquencer et de le modifier en augmentant ou en diminuant l’expression d’un gène. Surtout, il peut modifier différentes portions du génome en une seule fois.

 

Cette problématique aurait pu rester une question de spécialiste mais elle fait écho a une controverse majeure des années 1990, sur laquelle a travaillé la sociologue Chaia Heller,  qui a vu s’affronter la Confédération Paysanne et les “pro-OGM”. La sociologue souligne en particulier l'importance de stratégies de communication de la Confédération Paysanne dans la définition du cadre du débat qui a suivi pour réglementer les OGM en Europe.



Premier élément de controverse. Le différend porte sur la définition exacte du terme OGM. On voit deux positions s’affronter :

 

> Position A : Ce ne sont pas des OGM. Il n’y a que la mutagenèse ou la cisgénèse ou la transgénèse qui créent des OGM. Toute modification du génome ne crée pas des OGM.


> Position B : Toute modification du génome crée des OGM et CRISPR augmente les possibilités de modification donc il doit être considéré comme un OGM.

Problématique : Est-ce qu’en modifiant le génome avec CRISPR on crée des OGM ?

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PB3

3) CRISPR-Cas9 s’est rapidement répandu car il est moins cher, plus rapide et plus performant  

« Les ciseaux génétiques » sont en effet moins cher et plus rapide que leurs prédécesseurs pour modifier le génome (ZFN, Talen). La performance et la mesure sont au coeur du débat, et elles interrogent même la coexistence de CRISPR avec des outils plus anciens. 
L'outil est décrit comme une « révolution » par les médias soucieux de vulgariser la technique et il est aussi perçu comme tel par des associations qui se concentrent sur les problématiques éthiques. Ainsi, CRISPR apparaît d’abord comme une révolution, pourtant, en étudiant les publications scientifiques produites, on se rend compte que la question n’est absolument pas tranchée.

> Position A : c’est une révolution, CRISPR étend le champ des applications possibles. En thérapie génique : on va pouvoir étudier ou guérir des maladies permet de développer des modèles de maladie qui vont permettre de faire avancer la thérapie génique cibler de nouvelle cible en thérapie génique (et vérifier que ce sont les bonnes), établir les prédispositions génétiques de certaines maladies, étudier les causes génétiques de certaines maladies par 2 approches : en agro-alimentaire, pour développer des plantes résistantes, et en recherche fondamentale.

 

> Position B : c’est une évolution. Elle est complémentaire des autres techniques d’édition génétique (ZFN, Talen), elle est encore largement perfectible : hors-cible (l'outil modifie des gènes qui ne devaient pas être modifiés), effet mosaïque (des cellules modifiées cohabitent avec des cellules non-modifiées et entraînent des déséquilibres).

 

Historique des techniques de modifications du génome

Type 1

MN (Méganuclease-based Engineering)

1 intervention = 50K €

 

Type 2

ZFN (Zinc-fingers) 1 intervention = 5K €

 

Type3

TALEN (Transcription Activator-Like Effector Nucleases)

1 intervention = 1K €

 

CRISPR (Transcription Activator-Like Effector Nucleases)

1 intervention = 10 €

Problématique : CRISPR est il une évolution technique ou une révolution ?

L’office des brevets américains (UPSTO) a accordé des brevets au Broad Institute. En droit de la propriété industrielle, un brevet sert à préempter un marché. CRISPR est aussi un marché : celui de la santé et de l’agro-économie. La question des brevets est pour l’instant cantonnée aux Etats-Unis.

Néanmoins, l’idée que les biotechnologies représentent la promesse d'un marché de plusieurs milliards de dollars et qu’il est nécessaire pour certains laboratoires privés comme pour certaines institutions publiques de préempter ce marché engage une réflexion en France.

Les premières expérimentations ont produit des vaches sans cornes et des plantes résistantes à certains virus. Doit-on généraliser le processus ? Doit-on utiliser CRISPR pour produire plus ?

 

> Position A : Il faut un moratoire. Les interrogations éthiques sont trop nombreuses et les réponses scientifiques encore trop incertaines.


> Position B : Un moratoire est irréalisable. Des pays comme la Chine où des expérimentations ont déjà eu lieu sur l’embryon, ne respecteront pas le moratoire et la France prendra trop de retard dans la recherche pour être compétitive.

Problématique : la France doit-elle être compétitive sur le marché des biotechnologies et favoriser la recherche ou doit-elle établir un moratoire sur cette recherche  ?

4) CRISPR-Cas9 est une innovation technique brevetable

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5) CRISPR-Cas9 est un débat de société

Cet outil pose la question de la gestion et de l’évaluation du risque. En effet, comme toute innovation technique ayant des conséquences sur le vivant, CRISPR doit être soumis à une évaluation des bénéfices et des risques que ses utilisations peuvent amener à la société.

> Position A : entre experts, a posteriori

> Position B : avec la participation de l’ensemble de la société, a priori

Problématique : Comment doivent se faire l’évaluation et la gestion du risque ?

Il existe donc des différends :
 

> Sur la caractérisation de CRISPR et de ses possibles

> CRISPR produit-il des OGM ?

> Est-ce une révolution ou simplement une évolution ?

> Faut-il un moratoire ou au contraire une accélération?

> Faut-il évaluer le risque a priori avec le public ou entre experts a posteriori ?

 

Les savoirs spécialisés sont nombreux : de champs considérés comme purement scientifiques tels que la génétique, la microbiologie, la biochimie ou la bioinformatique, mais aussi des sujets corollaires comme la bioéthique, les questions juridiques ou l'agronomie pour ne citer qu'eux. Ces sujets sont académiquement éloignés, et largement espacés sur l'éventail des sujets. 

 

Les savoirs spécialisés sont de deux ordres :

> Des savoirs sur l’utilisation de CRISPR : des savoirs de biologie qui permettent de réaliser une expérience génétique.

> Des savoirs engagés dans l’évaluation des risques qui sont à la frontière entre génétique, bioéthique et gestion du risque, dont le politique est devenu spécialiste.

En s'attirant les foudres des médias spécialisés, à tel point que Science publiait un numéro “CRISPR Craze” en 2013, l’objet CRISPR-Cas9 est pris dans un tumulte de discours qui engagent des savoirs spécialisés dans des domaines aussi éloignés que l’ingéniérie génétique, le droit de la propriété intellectuelle ou l’éthique.

Dans la multiplicité des discours… On peine à se repérer.

 

Nous avons mené notre enquête. Les positions sont loin d’être prévisibles ou homogènes. Les pages qui vont suivre sont le fruit de notre enquête de terrain et elles sont destinées à vous faire comprendre les positions adoptées par les acteurs en une catégorisation choisie.

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